Guy Eclache : le collabo de l'Isère

GUY ECLACHE
ENQUÊTE SUR UN ULTRA DE LA COLLABORATION 1940-1945
Par Séverine GERMAIN
Préface d'Olivier COGNE

Edions PUG Presses Universitaires de Grenoble, Collection Résistances, 2018, 383 pages.

Le parcours erratique de Guy Eclache, déclaré ennemi public n°1 de l'Isère à la Libération.
De l'enfance de Guy Eclache ( né en 1918) passée dans la Creuse à son exécution publique à Grenoble le 20 octobre 1945, ce livre tente de comprendre comment cet homme est devenu l'un des meneurs du milieu collaborationniste grenoblois, membre de la Waffen SS ( il en était le recruteur officiel à Grenoble et dans l'Isère) et des Jeunes de l'Europe Nouvelle ( JEN) dont il était également le chef régional) , reconnu coupable de dizaines de meurtres, tortures, arrestations et dénonciations de Juifs et Résistants en Isère, pillages et vols en tous genres.
A travers l'examen des archives administratives et médiatiques de l'époque, Séverine Germain analyse la dérive progressive d'un Français sous l'Occupation. Elle dessine le portrait d'un homme à la vie relativement médiocre et vivant jusque là plus ou moins d'expédients qui, à la faveur de la guerre et des circonstances exceptionnelles mises en place par le régime de Vichy et l'occupation allemande, devient in fine un collaborateur acharné et sadique entraînant dans son sillage de violence tout un groupe de jeunes hommes aux esprits faibles ou aventureux.
Si c'est à Grenoble que sévit Guy Eclache en 1943-1944, l'homme n'en reste pas moins emblématique de certains des ultracollaborateurs les plus violents qui ont "oeuvré" en France en 1943-1944.
Guy Eclache était-il préposé à devenir un collaborateur ? Rien ne permet de l'affirmer. Eclache saisit surtout l'opportunité que lui offre la période de l'Occupation pour se faire une petite place dans une société qui l'a jusqu'ici ignoré. Comment dès lors est-il devenu le bourreau, le tortionnaire qui n'a encore que 26 ans à la Libération ? Bien sûr, l'antisémitisme de l'homme ne fait aucun doute, mais il est difficile de démêler dans ses agissements et celui de ses sbires ce qui relève du crime "politique" et ce qui relève d'une logique de rapine.
Au cours de l'été 1944 tout particulièrement, alors que tout est perdu pour les partisans de la Collaboration, les criminels continuent à agir. Analysant la mécanique de leurs crimes, l'auteur se tient éloigné de la vision simpliste qui pendant longtemps a prévalu pour distinguer la Résistance de la Collaboration, établie sur une dualité évidente entre le bien et le mal. Les crimes sont abjects, mais les motivations qui ont conduit à les perpétrer sont plurielles.
De nombreux groupuscules se partagent le "marché" de la Collaboration à Grenoble. Outre les JEN, le PPF et la Milice sont bien implantés dans la région ( environ trois cents militants actifs). Tantôt alliés, tantôt rivaux, ils semblent surtout mus par l'appât du gain. D'autres individus gravitent également dans ce milieu: des trafiquants du marché noir, qui renseignent les uns et les autres au gré des profits potentiels, des mercenaires assassins comme Jean Oddoz, des tueurs psychopathes comme Barbier, mais aussi des Allemands du SD, puisque leurs troupes occupent Grenoble en nombre après la capitulation italienne de septembre 1943.
Entre 1943 et 1944, Eclache s'épanouit donc dans une toile collaborationniste extrêmement dense. Il faut insister sur la jeunesse, en règle générale, de tous ces collaborateurs, souvent encadrés par des individus plus âgés. Délivrés de toute contrainte d'ordre moral ou légal par la présence de l'occupant, sous couvert d'idéologie, ils peuvent ainsi laisser libre cours à leurs pulsions en toute impunité. Balançant sans cesse entre complicité et rivalité, toutes ces équipes poussent toujours plus loin leur zèle au service des Allemands, tout particulièrement lorsque cela leur permet de se défouler, de festoyer et surtout de s'enrichir au détriment et aux malheurs de leurs nombreuses victimes.
La plupart des arrestations auxquelles se livre Eclache sont suivies de vols et de pillages, qu'il s'agisse de résistants ( ou supposés résistants si ce sont simplement des notables dont au surplus on guigne l'argent ou les valeurs ) ou de Juifs. Si l'appropriation de biens ne constitue probablement pas le motif principal de sélection des victimes, elle n'en demeure pas moins un corollaire systématique qui décrédibilise en grande partie le caractère "politique" des exactions perpétrées. L'appât du gain et la possibilité de s'enrichir avec facilité apparaissent comme des motifs d'adhésion aux groupes collaborationnistes ultra aussi puissant - voire plus !- que l'idéal politique national-socialiste revendiqué. L'escalade criminelle et crapuleuse d'Eclache et de son groupe en atteste clairement aux yeux de l'historien.
Retracer le parcours d'un ultra de la Collaboration, c'est aussi, d'une certaine manière, rendre encore et hommage au courage des Résistants de Grenoble et de l'Isère qui payèrent de leur vie leur engagement dans cette période ou toute arrestation signifiait la mort immédiate, la torture, le poteau d'exécution ou la mort différée en déportation.